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Le « Liech’ », une monarchie exemplaire ou dictature d’opérette ?

Etat tampon entre la Suisse et l’Autriche, entre passé et histoire, la principauté du Liechtenstein reste, au XXIe siècle, la dernière survivance du défunt Saint-Empire romain germanique. Créée en janvier 1719 par décret de l’empereur Charles VI, qui décida de réunir les deux minuscules comtés de Vaduz et de Schellenberg en un seul territoire, il faudra attendre Napoléon Ier et le traité de Presbourg en 1806 pour que sa dynastie héréditaire soit libérée de la tutelle des Habsbourg. Monarchie quasi-absolue où le catholicisme est religion d’Etat, ce pays alpin est-il aujourd’hui une royauté exemplaire ou une dictature d’opérette ?

 Lorsqu’en juin 2012, une poignée de Liechtensteinois dépose un projet d’initiative populaire, intitulé « Oui, pour que ta voix compte », il s’agit avant tout de réduire considérablement les pouvoirs du monarque et de transformer le pays en monarchie parlementaire. Le « quadra » Alois von und zu Liechtenstein, comte de Rietberg, qui a été nommé régent 14 ans plus tôt par son père, Hans-Adam II, va mettre tout son poids dans la balance. Le débat fait rage. Les « révolutionnaires » voient leurs affiches de campagne recouvertes de slogans tels que “Heil Vaterland !” (Vive la patrie !) ou “les démocrates, c’est la mort du peuple !” Le régent lui-même, à la veille du référendum le 1er juillet, déclare : « il n’est pas question que la maison princière apporte sa caution à une politique qu’elle n’approuve pas », menace d’abdiquer et de partir en exil. Avec 76 % de non au projet, la dynastie n’allait pas connaître ce crépuscule qui avait mis bas, à la fin de la première guerre mondiale, dans une Europe meurtrie, toutes ses monarchies germaniques.

Les Liechtenstein n’avaient jusqu’ici jamais véritablement visité leur Etat, lui préférant la douceur de Vienne.

Désormais souverain et militaire accompli, le prince Jean Ier (1760-1836) découvre alors une population majoritairement rurale, endettée et illettrée. L’administration est féodale et anarchique. Celui qui a conduit les négociations avec Napoléon après Austerlitz et qui a adhéré à sa Confédération du Rhin s’empresse alors d’abolir le servage en 1808. D’illusions en désillusions, le prince Jean finit par se rapprocher de nouveau des Habsbourg à la veille de la chute du Premier Empire. Ce choix lui permet de sauver l’indépendance de sa principauté au congrès de Vienne. D’une santé fragile, Jean Ier fait preuve d’une dévotion à l’égard de son Etat qu’il réforme profondément. En 1836, son fils et successeur Alois II (1796-1858) va continuer son œuvre mais se heurte à une population sensible aux idées révolutionnaires de 1848 et qui réclame la fin des taxes féodales. Les chemins de fer sont multipliés afin de développer le commerce extérieur et un accord douanier conclu en 1852 avec le voisin autrichien permet aux premières banques de faire leurs apparitions dans la principauté (encore aujourd’hui, elles sont réunies au sein du groupe de la Liechtensteinische Landsbank).

Le règne de Jean II va considérablement marquer la principauté. D’abord par son exceptionnelle durée de 70 ans (1858-1929), le second règne le plus long après Louis XIV, et enfin par la personnalité de son prince elle-même. Etrange souverain fasciné par la France dont il n’arriva jamais à parler correctement la langue, il a 18 ans quand il succède à son père. Il est beau, brun, élégant et s’amourache d’Alice de Bourbon, princesse de Parme et nièce d’Henri d’Artois, comte de Chambord. Mais avant la France, le prince reste fidèle à l’Autriche et la confédération allemande (qu’il finira par quitter en 1866). Le mariage ne se fera pas et il demeurera le prince le plus célibataire d’Europe tant dans la vie de tous les jours que dans son lit. Il accepte la création d’un parlement en 1862, octroie une constitution, crée la stupeur dans les cours européennes en décrétant la dissolution de son armée de …80 hommes et la proclamation de la « neutralité permanente » de son Etat. Il refuse de s’engager aux côtés des Habsbourg en 1914 et pour marquer son autonomie monétaire, adopte le franc suisse comme monnaie officielle (1924) non sans perdre quelques duchés dont il était détenteur en Tchécoslovaquie. Jean II se contente de peu. Il refusera d’ailleurs la construction de casinos dans la capitale Vaduz et qui donneront à son alter ego monégasque ses lettres financières de noblesse.

Une nouvelle constitution plus tard (1921), le Liechtenstein n’échappera pas pour autant à la montée du nazisme dans son Etat, après l’Anschluss.  La question juive est au cœur de l’animosité du Volksdeutsche Bewegung in Liechtenstein (VBL) à l’égard de la monarchie. Alfons Goop (1910-1993) leader pro nazi s’irrite publiquement du mariage de son souverain, François Ier (de 1929 à 1938) avec Elisabeth von Gutmann, d’ascendance juive.  Agé de 84 ans, refusant de régner sous la férule des nazis, François Ier cède son pouvoir à son petit-cousin François-Joseph II (1906-1989) et meurt quelques jours plus tard. Le prince, qui s’installe définitivement à Schloss Vaduz, monte sur un trône menacé par le VBL. Le parti pro-nazi tente un coup d’Etat en mars 1939 en essayant de provoquer une intervention de l’armée allemande en brulant des swastikas. C’est un échec tant le putsch est mené en amateur. François Joseph II sera d’ailleurs l’un des rares dirigeants à s’opposer aux accords de Munich et afin de parer à toutes menaces du genre, décide de proroger le mandat de la diète. A la fin de la seconde guerre mondiale, en mai 1945, le pays se voit brutalement envahi par la 1re armée nationale russe. Composée exclusivement de russes monarchistes, elle a juré fidélité au grand-duc Cyrille Romanov qui espérait reprendre son trône grâce aux panzers du Chancelier Adolf Hitler. Une crise diplomatique éclate entre la principauté du Liechtenstein et l’URSS qui évoque les accords de Yalta, exigeant que la monarchie lui renvoie ces russes blancs. François-Joseph II refuse de livrer les russes à leurs compatriotes soviétiques. Il déteste le nazisme, il exècre le communisme. Les seuls 250 russes qui accepteront de croire aux promesses d’un pardon finiront au goulag ou passés par les armes sur le chemin du retour vers le paradis rouge.

Un mois avant qu’il ne se retire du pouvoir en faveur de son fils Hans-Adam II (né en 1945), un référendum octroie aux femmes le droit de voter (1984). Une révolution dans cette société machiste ! Dans cet Etat de 160 kilomètres carrés aux paysages de montagnes, on se salue par « Grüss Gott » (que Dieu vous bénisse !) Rien d’étonnant en soit quand on sait que l’Eglise catholique a le statut d’Église nationale, protégée par l’État princier. En 2011, 70 % de ses sujets rejetteront, dans un nouveau référendum, la légalisation de l’avortement mais voteront en faveur d’une loi de partenariat pour les couples de même sexe (l’homosexualité n’ayant été dépénalisée qu’en 1989), très similaire à celle de son voisin autrichien. Parler de « mariage de personne de même sexe » dans la principauté était impensable. On avait transigé sur cette proposition que le régent avait soutenue du bout des doigts.

Bien que la principauté soit une monarchie constitutionnelle, les souverains, dont la fortune personnelle se chiffre en milliards de dollars, ont de réels pouvoirs comme celui de dissoudre son gouvernement de 5 ministres (actuellement dirigé par le parti conservateur ultraroyaliste Fortschrittliche Bürgerpartei, Parti progressiste des citoyens) ou de promulguer lui-même des lois. La relation entre les Liechtensteinois et leur famille princière (qui ne coûte pas un sou à son peuple car ne disposant pas de listes civiles), considérée comme les fondateurs de la nation, est quasi fusionnelle. En 2014, le prince Hans-Adams II, dans une interview, se considérait comme le « manager » de son Etat tout en rappelant que le système monarchique était des plus contemporains. Aujourd’hui encore, le caractère sacré de sa personne est inviolable. En 2003, un référendum sur une révision constitutionnelle a d’ailleurs largement accru ses pouvoirs. Concrètement, seul le prince peut lui-même décider de l’abolition de la monarchie. Sur toutes initiatives populaires de ce genre, son droit de véto est une signature incontestable juridiquement. De quoi rendre jaloux les monarchies voisines.

Ses détracteurs accusent régulièrement ce micro-Etat d’être un paradis fiscal peuplé de sociétés fantômes. Officiellement, la principauté tient sa prospérité de ses revenus de la vente de timbres, curiosités locales. L’Union européenne, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comme Berlin, se sont émus de cette situation. Derrière les apparats du trône, la fondation Prince de Liechtenstein, créée dans les années 1970 qui rassemble tous les biens privés de la famille princière y compris fonciers, contrôle aussi la principale banque du Liechtenstein. L’Allemagne voisine avait peu apprécié de découvrir lors d’un rapport sur son évasion fiscale que plusieurs députés et anciens Premiers ministres avaient des comptes secrets dans la principauté (2008). Un secret bancaire dont le régent Aloïs se veut le premier défenseur :« Nous ne sommes pas des nounous », avait-il déclaré peu royalement. « Nous n’allons tout de même pas demander à tout bout de champ aux gens : avez-vous payé vos impôts ? Cela ne peut pas être notre rôle ».

En février 1982, le prince Hans-Adam II déclarait que : « la monarchie (était) le garant de la démocratie » ajoutant en guise de conclusion que les termes de « pouvoir héréditaire et de d’alternance démocratique » n’étaient pas « antinomiques ». Une belle leçon de politique à l’intention des mouvements monarchiques d’Europe. Et par une curieuse ironie de l’histoire, les Liechtenstein pourraient bien hériter du trône catholique d’Angleterre. Le régent est marié à la princesse Sophie de Wittelsbach, future détentrice des droits des Stuarts à la mort du prince François de Bavière, sans enfants. Et pour les jacobites, la naissance de l’héritier au trône, Joseph-Wenzel (21 ans), dans un hôpital de Londres, ne peut être qu’un signe du destin.

Für Gott, Fürst und Vaterland ! (Pour Dieu, le Prince et la Patrie). Le Liechtenstein, une royauté éclairée ancrée dans le modernisme de ce siècle ou la dernière monarchie absolue d’Europe ?

Frederic de Natal.

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