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Affaire Dalaï-Lama : retour sur une polémique étouffée

L’idéologie dominante craque de toute part : remise en cause de l’oligarchie médiatico-politique, désamour pour l’Union européenne, révolte des « souchiens » contre l’immigration massive… il ne se passe pas un mois sans que les « intellectuels » au service du pouvoir ne soient contraints de déployer des florilèges d’imprécations et d’intimidations en tous genres pour limiter la casse. Le Brexit risque de leur donner encore plus de fil à retordre.

On en oublie presque qu’il y a un mois, un fougueux coup de pied dans la chape de plomb libérale, avait déjà été asséné… et c’est le Dalaï-Lama qui l’a donné ; un puissant coup de tonnerre, fissurant la doxa médiatico-politique.

Affirmant qu’il y avait trop de réfugiés en Europe, le chef religieux poursuivait « L’Europe, l’Allemagne en particulier, ne peut devenir un pays arabe, l’Allemagne est l’Allemagne ». Il est peu probable que le vieil homme cherchât à alimenter une polémique, simplement à transmettre son point de vue (bien plus sage que nombre de « commentaires » larmoyants des derniers mois, tant il semble trouver écho jusque dans la philosophie occidentale la plus classique). Les médias l’étouffèrent rapidement, sans tenir compte du message.

Pourtant, cette dimension de « l’identité », le Dalaï-Lama est bien placé pour en parler. Il appartient en effet à une très vieille nation, que des forces étrangères privent de sa souveraineté depuis de nombreuses décennies.

Pour le vieux Tibétain, les liens entre identité, nationalité, liberté et  immigration, et même souveraineté (à l’heure du Brexit !) sont étroits. Et pour cause, il les ressent dans la chair de son peuple. La politique chinoise d’ethnocide, (c’est-à-dire la disparition progressive d’une population autochtone, la nation du Tibet, remplacée par une population étrangère, les Hans, les Chinois) est un phénomène que les siens constatent et dénoncent, en dépit des démentis du régime de Pékin.

Cette substitution de population, voulue et organisée par un pouvoir vindicatif et impérialiste, menace à terme l’existence même du Tibet. Alors comment en vouloir à ce vieil homme pour qui les évènements en Europe semblent emprunter les mêmes schémas ? Il sait, lui, que l’Allemagne n’est pas un pays arabe, que l’Europe n’est pas une civilisation musulmane ; et que l’importation massive de musulmans d’Afrique ou du Moyen-Orient met en péril, à terme, l’équilibre des nations européennes.

Certes, ni l’Allemagne, ni la France ne sont le Tibet. Ce dernier est sous occupation étrangère, quand les pays de l’Union européenne se sont livrés eux-mêmes, avec candeur et irénisme, aux utopies européistes. Les apparatchiks de Pékin désirent sciemment anéantir l’identité tibétaine afin de garantir la suprématie Han sur cette région ; alors que les élites européistes n’en sont plus à raisonner sur le terrain de l’identité : ils ne voient pas le risque d’une Europe islamique, parce que l’identité arabo-musulmane, pas plus que l’identité européenne et chrétienne, n’existe à leurs yeux. Ils ne perçoivent le monde qu’à travers le prisme déformant des idéologies individualistes et matérialistes.

En clair, là où Pékin détruit une nation pour lui substituer la sienne, les technocrates européens ne voient rien d’autres que des individus interchangeables, titulaires de droits opposables. Si le gouvernement chinois est ouvertement malveillant (pour les Tibétains), les libéraux et les européistes n’ont même plus conscience de leur nocivité, aveuglés qu’ils sont par leurs idéologies. C’est une instrumentalisation machiavélique du réel qui pousse les uns, quand le déni dramatique de celui-ci meut les autres.

A terme, cependant, les conséquences, seront tragiques. Sans perdre de vue les exigences morales que nous rappelle la Pape François (mais en cherchant des moyens autres d’y répondre), les catholiques auraient bien raison (une fois n ‘est pas coutume) de s’inspirer de cet autre chef religieux qui assiste, à l’autre bout du monde, à la dilution de son peuple.

Même dans le monde simpliste et manichéen post-mai 68, affubler le Dalaï-Lama de l’image infâme du raciste, c’est chose difficile. Chef spirituel d’une nation asiatique, dominée et vaincue, il est un leader de la cause anti-colonialiste. Pourtant, toute la presse aux ordres de l’oligarchie s’est employée à le discréditer : sans jamais commenter le fond, toujours en entretenant l’idée qu’il s’agirait d’un énième dérapage d’une personnalité qui n’en serait pas à son premier coup d’essai.

On ne peut pas en vouloir aux sbires de l’oligarchie de n’avoir pas donné plus de crédit à cet avertissement. Lors du Brexit, ils ont réagi unanimement par un flot de lamentations outrées et de prévisions apocalyptiques, ignorant superbement que c’est au sein de l’Union européenne, particulièrement de la zone euro, que les choses vont au plus mal. Mais c’est au système actuel qu’ils doivent leurs places, leur cécité est conditionnée par leurs intérêts, car, pour reprendre la formule d’Upston Sinclair, « il est difficile de faire comprendre quelque chose à un homme si son salaire dépend de ce qu’il ne la comprenne pas ».

Stéphane Piolenc

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