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Élections africaines : le meilleur et le pire

En l’espace de quelques jours, l’Afrique nous a offert le meilleur et le pire. Malheureusement, les épouvantables nouvelles venues de Bruxelles ont occulté, encore plus qu’à l’accoutumée, celles venues de ce continent. Au sud du Sahara, trois présidentielles avaient lieu, dimanche dernier 20 mars.

Le meilleur, c’est le Bénin, qui a de nouveau prouvé au monde que sa démocratie était solidement installée. Le président sortant, Thomas Boni Yayi, ne se représentait pas, après avoir accompli deux mandats consécutifs. Il n’a pas cherché à modifier la constitution de son pays. Il n’a pas voulu imiter le lamentable exemple de nombre ses pairs africains qui ont recours à ce genre de manipulation afin de se représenter à un énième mandat.  Boni Yayi a préféré susciter et soutenir la candidature de son premier ministre, Lionel Zinsou. Au second tour, l’homme d’affaires Patrice Talon l’a emporté avec 65,39 % des suffrages contre 34,61% au candidat du pouvoir. Le premier ministre n’a même pas attendu l’annonce du résultat officiel pour appeler le vainqueur au téléphone et le féliciter. Depuis le retour au multipartisme en 1990, le Bénin a connu plusieurs alternances. Aux présidentielles de 1991, l’ancien dictateur et président sortant, Mathieu Kérékou, fut battu par Nicéphore Soglo. En 1996, Kérékou prit, démocratiquement, sa revanche, en l’emportant contre Soglo, avant de se faire réélire en 2001. En 2006, le « caméléon », comme l’ont surnommé ses compatriotes, respecta la constitution et ne se représenta pas. Thomas Boni Yayi, un novice en politique qui n’avait pas le soutien du président sortant, remporta cette élection présidentielle avec 74,51 % des voix. Il fut réélu en 2011 avec 55 % des suffrages. Le Bénin, pays sans ressources minières mais riche d’une population éduquée,  est devenu un exemple pour l’Afrique, avec une démocratie qui a su prendre racine, et des élections présidentielles où le vainqueur n’est pas toujours le candidat  du pouvoir.

Le pire, c’est le Congo-Brazzaville, pays riche en hydrocarbures.  Celui qui pourrait être considéré comme le véritable doyen des présidents du contient, Denis Sassou-Nguesso, a remporté les élections présidentielles de dimanche dernier dès le premier tour, avec 60,30 % des voix. Afin de pouvoir se présenter à cette élection, il avait orchestré une modification constitutionnelle, validée par un référendum, en octobre 2015. Le règne de Sassou Nguesso débuta à la fin des années 70. À l’époque, le pays était une « République populaire » depuis le coup d’État militaire de 1968 qui avait porté au pouvoir des officiers marxisant, et la fondation, par ces derniers, d’un parti unique, le Parti Congolais du Travail, en 1969.  Le colonel Sassou Nguesso devint président le 8 février 1979, à la suite d’une révolution de palais. Au début des années 1990, le Congo, comme beaucoup d’autres pays africains, fut balayé par un vent de démocratie. En 1991, une conférence nationale réintroduisit le multipartisme et la République perdit son adjectif « populaire ». Aux premières élections présidentielles démocratiques d’août 1992, le président-candidat Sassou Nguesso n’arriva qu’en troisième position, avec seulement 16,87 % des suffrages ! C’est Pascal Lissouba qui l’emporta au second tour. L’ex-président put cependant reprendre les rênes du pays le 25 octobre 1997, à l’issue d’une sanglante guerre civile de cinq mois, qui fit au moins 400 000 morts. La rivalité entre grandes compagnies pétrolières fut certainement la cause principale de ce conflit, Lissouba ayant eu le tort de tenter d’ouvrir le pays, jusque-là chasse gardée d’Elf-Congo, à des compagnies nord-américaines.  Denis Sassou Nguesso, ancien officier marxiste, défenseur d’intérêts pétroliers français, revint donc au pouvoir par les armes. Depuis lors, il incarne ce qu’il est de bon ton d’appeler la « Françafrique » et lui-même et son entourage sont régulièrement mis en cause pour des affaires de « bien mal acquis ». En septembre 2015, la justice française a ordonné la saisie de plusieurs « biens mal acquis » du président congolais et de son clan, dont une luxueuse villa de 500 mètres carrés située au Vésinet. Quelques mois plus tôt, en février, c’était  une quinzaine de voitures de luxe qui avaient été saisie à Neuilly-sur-Seine chez des membres de la famille Sassou Nguesso. Le train de vie du président et de sa famille est aussi régulièrement épinglé. On mentionnera, entre autre, le séjour du président et de sa suite à New York en septembre 2006, pour l’Assemblée Générale des Nations Unies. À cette occasion, 44 chambres avaient été occupées à l’hôtel Waldorf Astoria pendant cinq nuits, pour un coût total d’environ 160 000 euros. L’ONG Global Witness avait signalé que, le mois précédent, le fils du président, patron d’une filiale de la compagnie nationale des pétroles, avait dépensé plus de 40 000 euros en costumes de grands couturiers. Ces affaires de bien mal acquis n’ont pas empêché le président congolais, à 72 ans, de considérer que lui seul était à même de diriger le pays et de se représenter. Le puissant entourage du chef de l’État, craignant certainement de perdre ses privilèges extravagants, a sans doute tout fait pour qu’une retraite pas si anticipée que ça ne soit envisagée. Sur 56 années d’indépendance, le Congo a eu Denis Sassou Nguesso pour président pendant 32 ans…

Entre le « meilleur » incarné par le Bénin et le « pire » symbolisé par le Congo-Brazzaville se situe le Niger qui, lui aussi, avait organisé le deuxième tour de son élection présidentielle en ce dimanche 20 mars. Si le Congo-Brazzaville dépend de la manne pétrolière,  le Niger, pays sahélien enclavé, a quant à lui l’uranium comme principale ressource naturelle. Cette richesse est exploitée par Areva, dans des conditions controversées. C’est d’ailleurs un ancien employé de cette compagnie, Mahamadou Issoufou, ingénieur sorti de l’École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne, qui préside aux destinées du pays depuis avril 2011. Après un coup d’État militaire (l’un des nombreux putschs qu’a connu ce pays, depuis son indépendance en 1960) et une période de transition, des élections, jugées crédibles par les observateurs, avaient été organisées et Mahamadou Issoufou, un ancien premier ministre et ancien président de l’Assemblée Nationale, avait été élu au second tour avec 57,95 % des voix. Dimanche dernier, le président sortant a été réélu sans gloire et sans surprise, avec 92,4 % des suffrages. Il l’a en effet emporté face à son ancien allié Hama Amadou, emprisonné depuis novembre 2015. Après l’élection de Mahamadou Issoufou, à laquelle lui et son parti avaient contribué, Hama Amadou avait été élu président de l’Assemblée Nationale, avant de passer à l’opposition en 2013. Poursuivi pour une affaire de trafic de bébés nigérians, il s’était réfugié en France avant de rentrer pour participer à l’élection présidentielle de 2016. Malgré son emprisonnement, il est parvenu à se qualifier pour le second tour, ayant obtenu 17,7 % des voix, derrière le président sortant qui, avec 48,4 %, avait manqué de peu une réélection dès le premier tour. L’opposition décida alors de se retirer du processus électoral, pour protester contre l’emprisonnement de Hama Amadou. Le 16 mars, soit 4 jours avant le deuxième tour,  le candidat de l’opposition a malgré tout pu sortir de prison pour être évacué par avion médicalisé vers la France. C’est donc un candidat fantôme que le président sortant a affronté dimanche dernier. L’opposition avait appelé au boycott du scrutin et la participation semble avoir été très faible (59 % selon les chiffres officiels, beaucoup moins selon l’opposition). Dès que sa victoire a été annoncée, le président a appelé à la formation d’un gouvernement d’union nationale. L’opposition saisira-t-elle cette main tendue ? Rien n’est moins sûr. C’est pourtant d’unité dont le Niger aurait besoin. Ce pays est l’un des plus pauvres du monde, malgré l’uranium. En 2011, il était même classé par le PNUD 186ème sur 187 pays. Avec une population estimée à 19 millions[1], c’est aussi le pays qui possède le taux de fécondité le plus élevé au monde, avec une moyenne de 6,76 enfants par femme. Enclavé et en grande partie désertique, le Niger fait face à de nombreux défis. L’éducation est certainement le principal, dans un pays où le taux d’alphabétisation n’était que de 11 % en 2001. Cette année-là, le taux de scolarisation n’atteignait que 37 % et les enfants scolarisés étaient majoritairement des garçons. Un autre défi est celui de la déstabilisation, le Niger étant situé dans un environnement géographique pour le moins dangereux. Frontalier de la Libye, de l’Algérie, du Mali et du Nigéria, le pays doit lutter contre les menaces djihadistes, tant celles d’AQMI et de ses affiliés que de celles, au sud, de Boko Haram. Le Niger s’étend sur une superficie de 1 267 000 km² et ses frontières sont difficilement contrôlables, surtout dans sa partie saharienne. Son territoire est devenu une zone de transit pour tous les trafiquants de la région : armes, cigarettes, drogue mais aussi et peut-être surtout êtres humains. C’est en effet par le Niger que passent la plupart des migrants qui tentent de gagner la Libye dans l’espoir s’embarquer vers l’Europe.

La stabilité du Niger représente donc un enjeu essentiel pour la région mais aussi pour la France. Le pays est une pièce essentielle dans le dispositif Barkhane, qui a pris la suite de l’Opération Serval dans la lutte contre les djihadistes au Sahel. Enfin, n’oublions pas que c’est du Niger que provient l’essentiel de l’uranium qui permet aux centrales nucléaires françaises de fonctionner. Les élections présidentielles du dimanche 20 mars ont donc dû être suivies avec attention à Paris, tant à l’Elysée que dans les bureaux d’Areva…

Hervé Cheuzeville



[1] Alors qu’à l’indépendance, en 1960, le Niger ne comptait que 3 millions d’habitants !

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