Europe / international

Russia bashing : Nous trompons-nous de cible ?

On aura remarqué ces derniers temps, et ce bien avant la crise de l’Ukraine, un certain embarras de la classe politique française à se positionner par rapport à la Russie et plus particulièrement à son très populaire leader, Vladimir Poutine…

Pour résumer, le politiquement correct ordonne le « Russia bashing » et encore plus le « Poutine bashing ». Cerise sur le gâteau, vient  la révélation du financement du Front National par une banque de l’Est…  confirmant encore s’il en était besoin la pertinence de la désinformation systématique à l’égard de la Russie.

L’embarras de la classe politique est réel car à bien des égards la Russie est une clé importante de l’équilibre géo-politico-économique de la planète…

Commençons par les aspects « éco ». Sans être « poutinophile », les statistiques russes feraient pâlir d’envie n’importe quel économiste de notre « beau et gentil monde libre » :

  • Ratio dette/PIB à 15.7% à comparer aux 95% de la France et au 105% des USA
  • Solde commercial : + 179 Md$  (certes grâce à la manne pétrolière…) à comparer au déficit de 101 Md$ de la France
  • Budget équilibré quand nous courrons après l’équilibre depuis 40 ans…
  • Population 145 M d’habitants quand nous venons à peine de dépasser le 65 M
  • Chômage à 5.6% (sans commentaire !)
  • PIB de 2057 Md$ inférieur à celui de la France (2902 Md$) : cocorico ? Nous y reviendrons…
  • Recettes fiscales égales à 15.1% du PIB quand nous sommes au taquet à plus de 50% (de Gaulle disait : « au-delà  de 30%, on est un pays communiste » !)

Revenons donc sur le PIB : on raisonne ici en taux de change nominal. Ainsi, la France est la cinquième puissance mondiale. Cocorico!

En revanche, en termes de parité de pouvoir d’achat, seule façon exacte de juger de la réalité d’un  PIB, la Russie est la sixième puissance mondiale (2486 Md$) et la France seulement la neuvième (2238 Md$). Ah ben zut alors… On nous aurait menti ?

Avec des fondamentaux aussi remarquables, le Rouble est attaqué de toute part alors que la Russie est un pays bien plus solvable que la France : cherchez l’erreur !

Passons aux aspects « géopoliques ».

Depuis quelques lustres déjà, le monde n’est plus bipolaire et nos amis américains (mais aussi l’Europe) ont beaucoup à perdre dans les nouveaux équilibres qui sont désormais possibles. Une bonne partie de leur politique a pour but de maintenir les avantages tirés de leur victoire de la guerre froide.

Au premier rang de ces avantages, le Dollar comme monnaie de réserve mondiale.

Cet avantage doit beaucoup aux accords signé le 14 février 1945 (le jour de la Saint Valentin, tout un symbole !) entre Franklin Delano Roosevelt et le roi d’Arabie Saoudite.

Roosevelt proposa alors au régime saoudien le soutien américain et la garantie de la sécurité de son territoire contre l’exploitation de ses richesses pétrolières. Le roi accepta d’attribuer des concessions pétrolières à la société ARAMCO (Arabian American Oil Company), contrôlée principalement par des compagnies américaines, sur 1 500 000 km² pour une période de soixante ans.

Ainsi naquit le « pétrodollar »… et le dollar de s’imposer comme la monnaie de référence planétaire pour tous les échanges de matières premières.

Accessoirement, cet accord scella l’alliance des Etats-Unis avec le pays qui allait devenir le leader/financeur prosélyte du courant sunnite de l’islam…

Par réaction dans le monde bipolaire de l’époque, la Russie se tourna vers le courant shiite et l’Iran.

Toutes les guerres au proche et moyen orient, et au-delà la situation géopolitique actuelle (des premiers attentats de Ryad en 1995 à l’Etat Islamique d’aujourd’hui en passant par les attentats du 11 septembre 2001), doivent être analysées aussi sous l’angle de cet accord pétrolier originel.

Aujourd’hui, le prix du pétrole est en chute libre : la barre des 60$ le baril est enfoncée. Pourquoi ? L’analyse politiquement correcte consiste à dire qu’il s’agit là d’une alliance objective entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite pour mettre à genou la Russie dont l’économie est très dépendante du pétrole.

Une autre analyse consiste à dire que l’Arabie Saoudite a décidé de garder ses vannes grandes ouvertes en réaction aux récentes et discrètes manœuvres de rapprochement des Etats-Unis avec son ennemi intime, l’Iran… les américains ayant par ailleurs de plus en plus de mal à assumer cette alliance économique tant l’Arabie Saoudite est perçue par l’opinion publique comme une terre d’extrémisme religieux, un foyer du terrorisme international (rappelons que 15 des 19 terroristes identifiés à l’issue des attentat des twin towers étaient de nationalité saoudienne).

Ainsi la Russie ne serait pas qu’un dommage collatéral. Tel l’arroseur arrosé, les exploitations de gaz de schiste nord-américaines se retrouvent très sensiblement sous leur seuil de rentabilité (le coût d’extraction d’un baril est au mieux de 80 $, en fait plutôt dans la fourchette 100-120) et un voisin des Etats-Unis est littéralement en train de s’effondrer : le Venezuela… Notons que les réserves pétrolière et financière de l’Arabie Saoudite lui permettraient sans problème de faire durer cette situation pour 2 ans, voire plus !

Quelle est la voix de l’Europe dans tout ça ? Certes la baisse du prix du baril est une bonne nouvelle pour notre économie (entre + 0.3 et 0.5 point de croissance en plus selon les experts).

Mais politiquement, ne sommes-nous pas en train de dire un adieu définitif à « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » chère au général de Gaulle ?

Ne laissons-nous pas passer un train historique en regardant passivement la Russie se tourner vers la Chine ?

Souhaitons-nous  donc  que le monde redevienne bipolaire, avec d’un côté une Europe asservie au « partenaire » américain et de l’autre une alliance russo-chinoise ?

Allons-nous rester encore longtemps dans l’OTAN (merci Sarko), véritable relique de la guerre froide et accepter sur notre territoire la présence de missiles américains dirigés vers la Russie (en Pologne pour être précis, un Cuba à l’envers !) ? Allons-nous persister à ne pas construire une vraie défense européenne ?

Allons-nous continuer longtemps à nous laisser manipuler par les anglo-saxons pour que jamais l’Europe ne se construise vraiment de façon forte et indépendante et que jamais l’Euro ne supplante le Dollar ?

Entendez-vous la voix de l’Europe ?

Rendez-vous en 2015 pour la suite du concert géo-politico-économique dont on ne vient d’entendre  assurément que le premier mouvement…

Arnaud de Lamberticourt

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.