Chretienté/christianophobie

Au seuil de l’Apocalypse

Parmi les écrivains français catholiques de la fin du XIX° siècle, il en est un dont nous venons de commémorer le 3 novembre dernier le centenaire de la mort, celui qui se tenait, comme il disait, « au seuil de l’Apocalypse », à savoir Léon Bloy, ce félin aux griffes et aux crocs acérés lorsqu’il s’agissait de défendre la Vérité, cet agneau sans défense dans la tempête démocratique, bourgeoise et républicaine.

                                               Sa vision de l’Histoire mérite notre réflexion, lui qui avait bien compris que le doigt de Dieu touche chaque chose et que tout est illuminé par une étincelle divine. Dans Le Révélateur du Globe, – extraordinaire ouvrage sur Christophe Colomb, analyse justement : « La Critique historique est une pythonisse sans trépied qui accommode ses oracles au goût du jour. Sa naïve aînée, la grande Histoire, a tellement disparu derrière l’enflure de cette grenouille pédante et artificieuse et les âmes sont devenues si lâches pour la vérité que le Génie lui-même, avec ses cataractes de lumière, ne pourrait peut-être plus lui restituer sa vraie place (…).Il ne s’agit guère aujourd’hui de ressaisir l’irrévocable Passé, de contraindre ce fantôme à revenir sr ses pas, et de lui redonner pour un instant l’étincelle miraculeuse de la vie. D’ailleurs, une science énorme ne serait pas ce qu’il faut pour accomplir un tel prodige. Non certes ! Mais il faudrait absolument ce que n’enseigne aucune école : le désir enthousiaste de la vérité appuyé sur le pressentiment d’un plan divin. L’Histoire, alors, cesserait d’être la « Bagatelle fascinante » de l’incrédulité pour redevenir ce qu’elle fut dans les Saints Livres : la transcendante information du Symbolisme providentiel. » Le diagnostic est rude, opéré avec un bistouri, et il plonge directement au cœur de la chair en putréfaction de notre société. En fait, Léon Bloy est le fidèle disciple qui reprend l’enseignement du Maître, montrant combien la Vérité n’est pas aimée. Dans le même livre, il souligne : « Il y a deux choses assez lamentables. D’abord on ne tient pas du tout à la vérité. On désire même ne pas la trouver, car, si on la trouvait, il n’y aurait plus moyen de courir après la petite bête et la vie serait insupportable. Ensuite, on ne croit  même pas qu’il existe une vérité. »

                                               Cette horreur de la Vérité qui la rejette ou qui la nie est palpable partout dans notre monde. Une civilisation qui n’a plus le souci de cette quête nie son fondement même et est condamnée à périr. Il est impressionnant de constater à quel point nous baignons dans cette ambiance de mensonge et de haine. Chaque jour nous apporte une nouvelle pierre d’achoppement. Nous construisons ainsi notre malédiction car les pires punitions ne viennent pas de la main divine mais sont construites par notre folie. Prenons l’exemple , révélateur de notre décadence morale, de la façon dont nous traitons désormais l’enfance. Le massacre de l’innocent commence dans le ventre de sa mère. S’il a la chance de survivre, il devra souvent subir l’affront de ceux qui ne cherchent qu’à le pervertir par des méthodes éducatives néfastes, lui inculquant non point le goût du bien et du vrai mais le poussant à s’abrutir dans le divertissement dès le plus jeune âge. Les abus contre l’enfance ne sont pas simplement sexuels, ils empoisonnent, de façon habituelle, administrative et étatique, l’âme de ceux qui ne peuvent se défendre. Dans ses Méditations d’un solitaire en 1916, alors qu’il est au seuil de la porte étroite et que la France est défigurée par la plus atroce des guerres, Léon Bloy écrit : « La malédiction d’un seul enfant est une chose panique, surhumaine, qui déconcerte les plus forts. Le cœur humain n’est pas fait pour supporter cela. Mais la malédiction d’une multitude d’enfants, c’est un cataclysme, un prodige de terreur, une chaîne de montagnes sombres dans le ciel avec une chevauchée ininterrompue d’éclairs et de tonnerres sur leurs cimes ; c’est l’infini des aboiements de tous les gouffres ; un je ne sais quoi de tout puissant qui ne pardonne pas et qui tue l’espérance de tout pardon. » Une société où les enfants sont détestés lorsqu’ils ne sont pas programmés perd nécessairement sa culture qui n’aura plus d’héritiers. Les habitants d’un tel pays deviennent les serviteurs d’un palais vide, enténébré, les esclaves de directives réduisant l’homme à être plus méprisable que le néant, à ne pas avoir d’autre avenir que celui du plaisir et de l’ennui. Ces domestiques d’une nouvelle espèce ne manquent point de zèle. Nous les trouvons à tous les niveaux, dans tous les réseaux, à tous les postes de gouvernance civile ou religieuse.

                                               Léon Bloy a le mérite de nous secouer de notre torpeur et de nous rappeler que, quelque soit l’état lamentable de nos âmes ou de notre pays, tout est marqué du signe de la sainteté. Point de désespérance dans les paroles de feu de ce prophète du Saint-Esprit et des temps derniers : « Quelle que soit la malice des uns et des autres, ils ont Dieu en eux. Autrement ils ne pourraient pas subsister, même à l’état de néant, puisque le néant, inconcevable, lui aussi, sans Dieu, est le réservoir éternel de la Création.(…) Il est bien certain que jamais, à aucune époque, les hommes ne furent aussi éloignés de Dieu, aussi contempteurs de la Sainteté qu’il exige, et jamais pourtant la nécessité d’être des saints ne fut aussi manifeste. En ces jours apocalyptiques, il semble vraiment qu’une pellicule de rien nous sépare des gouffres éternels » continue le Mendiant ingrat, comme il se plaisait à se nommer lui-même. Il parlait du cœur de la tourmente de la Grande Guerre. Les canons de cette dernière se sont tus et les tranchées sont désormais recouvertes de forêts. Pourtant, la violence n’a cessé de croître et l’homme de s’avilir au cours du dernier siècle. L’urgence n’a donc rien perdu de son actualité, bien au contraire : « La sainteté a toujours été demandée. Autrefois on a pu croire qu’elle était demandée de très loin, comme une échéance incertaine pouvant être périmée. Aujourd’hui elle nous est présentée à notre porte par un messager hagard et tout en sang. Derrière lui, à quelques pas, la panique, l’incendie, le pillage, la torture, le désespoir, la plus effroyable mort… Et nous n’avons pas même une minute pour choisir ! » Cet état des choses, terrifiant, ne s’applique pas simplement aujourd’hui à nos frères chrétiens du Proche Orient, mais à nous-mêmes, alors que des forces diaboliques travaillent, depuis si longtemps, l’Occident. Les dangers sont multiples, intérieurs, extérieurs, idéologiques. Malgré tout, l’étendard de la sainteté flotte et nous invite à le rejoindre, afin de servir le seul Maître. En face, le Malin et ses armées remportent bien des victoires : « Il y a pour le Diable des époques fastes, d’inexplicables moments où une licence extraordinaire est accordée aux puissants de son enfer. » Joseph de Maistre avait souligné qu’en 1793, la plupart des Français furent possédés par les démons. Cependant cette époque de sang et de larmes fut suivie par une renaissance catholique miraculeuse, comme à chaque fois que les martyrs sacrifient leur vie. En sera-t-il de même de nos jours ? Quel sursaut attendre ? Quelle persécution à traverser ? Quelles armes à fourbir, les spirituelles surtout ? Au-delà des ténèbres qui semblent recouvrir la terre, –Tenebrae erant super faciem Abyssi, affirme le Livre de la Genèse (I.2), la lumière tient bon, même si elle demeure trop souvent sous le boisseau. Il suffit de quelques veilleurs fidèles, de quelques vierges sages, pour que l’huile ne vienne point à manquer.

                                               Nous sommes au seuil de l’Apocalypse. A nous d ‘enfourcher nos montures pour caracoler auprès du Grand Roi.

 

                                                           P.Jean-François Thomas s.j.

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