Chretienté/christianophobie

Les apparences

L’histoire très récente de notre pays, durant tous ces derniers mois, nous donne l’occasion renouvelée de méditer sur la vanité des apparences, et aussi sur leur tromperie. Platon, au livre VII de La République, avait déjà souligné combien le monde que nous pensons connaître n’est pas forcément celui qui correspond à la réalité. Son allégorie de la caverne, s’appliquant certes aux conditions de la connaissance et à sa transmission, est aussi un signal d’alarme qui nous avertit de ne point nous fier aveuglément à ce que le monde présente comme sa véritable image. Dans le royaume auquel nous appartenons, même s’il est défiguré par la république, notre devoir est d’aller chercher derrière le voile la réalité qui s’y cache, qui y repose attendant d’être saisie.

                                   La tragique leçon de nos premiers parents dans le jardin d’Eden aurait dû être suffisante et efficace pour nous éviter le pire, mais nous ne cessons de retomber dans un piège identique. Lorsque Adam et Eve écoutent la voix du Tentateur, ce dernier pousse la femme à regarder l’arbre interdit au milieu du jardin. Elle en reste aux apparences et cède à l’attrait : « La femme vit que le fruit de l’arbre était bon à manger, agréable à la vue et désirable pour acquérir l’intelligence ; elle prit de son fruit et en mangea ; elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il en mangea. » (Genèse III.6) Voilà un geste sans cesse recommencé, génération après génération.

                                   Les puissants ont toujours su utiliser à leur propre avantage tout un appareil d’artifices pour se construire une image, pas forcément pour tromper leur monde mais pour asseoir leurs ambitions, et dans le meilleur des cas, leur autorité. Le château de Versailles, véritable programme politique utilisant les arts, en est le parfait prototype. Mais les souverains n’étaient pas dupes et Louis XIV n’a jamais cru, -contrairement à ce qui est parfois stupidement enseigné ou affirmé, qu’il était l’incarnation du soleil. La mise en scène théâtrale a ici pour but la grandeur de la France, comme la décoration baroque des églises jésuites sert la gloire de Dieu et l’évangélisation des païens et des hérétiques. Il n’existe pas de confusion des genres entre ces apparences et ceux qui les inventent et les utilisent.

                                   La situation est bien différente avec la naissance de la république révolutionnaire, ses grandes liturgies du Champs de Mars, sa destruction en profondeur des structures existantes remplacées par des succédanés et des imitations médiocres. Nous en héritons lors des investitures des présidents et la panthéonisation des saints républicains. Les « hommages » qui se multiplient, y compris pour des crapules, la référence constante à des « valeurs » républicaines éthérées, la mise en place de plus en plus serrée d’une censure silencieuse, la divinisation de certaines personnalités portées par le peuple sur les nouveaux autels montrent à quel point nous vivons dans le règne des apparences. La vérité est tue, le mensonge triomphe. Nous croquons dans les fruits empoisonnés qui nous sont tendus par les suppôts du Tentateur, à longueur de programmes télévisés, d’éditoriaux journalistiques, de rapports d’ « experts » et de « spécialistes ». Derrière le vernis apposé, la pourriture se cache. Léon Bloy affirmait, dans Le Mendiant ingrat, que « tout écrivain doit porter ses livres sur sa figure ». Une exigence similaire pourrait être espérée de la part des responsables politiques, des autorités religieuses, de ceux qui partagent pouvoir et argent. Or, dans la plupart des cas, il n’en est rien. Ce que nous voyons, ce que nous entendons, ne correspond pas à la réalité.

                                   Cela ne signifie pas que les symboles, les allégories utilisées par une société ou une communauté soient toujours des pièges. Ils ne le sont point lorsqu’ils peuvent être lus et interprétés pour ce qu’ils signifient clairement et sans arrière pensée. En revanche, lorsqu’ils singent la vérité et le sacré, lorsqu’ils détournent du sens premier, ils deviennent extrêmement dangereux. Les groupes sectaires et occultes comme la franc-maçonnerie aiment entretenir cette ambiguïté, y compris en influençant des réalités qui ne leur appartiennent pas. Ils s’imposent, en façonnant peu à peu les esprits, par le voisinage de symboles tordus mimant ce qui existe de plus sacré. Lorsque Jean-Louis Debré, à la fin de son mandat de président du conseil constitutionnel, récite ce qu’il nomme un poème et qui n’est rien d’autre qu’une prière sacrilège et révolutionnaire défigurant l’Ave Maria, il met bas le masque qui sauvait jusqu’alors les apparences, suivant en cela le principe même du Tentateur du jardin de l’Eden qui est toujours d’imiter,- puisqu’il ne peut rien créer, de vider de leur sens les choses réelles, de fouler aux pieds ce qui est sacré. La Justice de Dieu s’appliquera sans faille pour punir de tels renversements qui dégradent l’être au non être, qui précipitent dans le chaos et le néant.

                                   Il y a toujours anguille sous roche lorsque la république et ses serviteurs accaparent des figures et des symboles qui proviennent de notre héritage national. Nous pouvons être assurés qu’ils ne les laissent pas intacts et qu’ils essaient de sacraliser ce qui existe de plus bas. L’entassement des cadavres au Panthéon est ainsi une pâle et néfaste copie des nécropoles royales, à commencer par celle de Saint-Denis, si outrageusement violées lors de la révolution. Il est aussi la singerie des lieux de pèlerinages abritant les châsses des saints. Les enfants des écoles ne vont plus se recueillir devant les reliques de sainte Geneviève, -pour laquelle cette imposante église fut construite, mais ils sont conduits en groupes pour s’incliner devant les dépouilles de multiples coquins et coquines qui laissent derrière eux des traînées ensanglantées pour avoir coupé des têtes ou permis que les enfants à naître soient avortés, ou qui ne transmettent comme héritage que l’exemple de la louange servile à l’égard d’un régime politique pourri à ses racines. Nous sommes aux antipodes des sanctuaires chrétiens où reposent saints et martyrs, serviteurs de la foi et de l’Eglise, hommes de charité et d’abnégation. Malgré tout, la plupart de nos contemporains se laissent prendre au piège et sont béats d’admiration devant la tombe d’un Emile Zola, d’un Victor Hugo ou d’une Simone Veil.

                                   Notre intelligence a grand besoin d’être sans cesse en éveil pour repérer les contrefaçons et les subterfuges. Cela réclame une attention de chaque instant, au risque de dégringoler dans la trappe. Il est nécessaire de former la jeunesse à ne pas se laisser berner par les images trompeuses. Il ne suffit pas qu’un président se fasse photographier dans une pose avantageuse pour qu’il égale la majesté d’un Louis XIV. Apprendre à déchiffrer les signes que le monde multiplie à foison est une priorité. Les chrétiens sont souvent très naïfs, ne voyant mal à presque rien. Les monarchistes le sont aussi, souvent satisfaits qu’un homme de la république fasse soudain mention de sainte Jeanne d’Arc ou du sacre de Reims, se pavane à Versailles, croyant ainsi que le balancier est en train de basculer et que des jours plus lumineux sont annoncés. Or l’ennemi, qui peut être soupçonné de bien des vilenies, ne peut pas, en tout cas, être taxé de bêtise: il est très malin et il sait faire miroiter à moindre frais à ses opposants quelques symboles détournés de leur sens, ceci pour calmer les esprits et obtenir, encore et toujours plus, un soutien populaire qui ne se lasse pas de durer.

                                   Nous devrions être un peu plus platoniciens et apprendre à nous méfier des apparences. Notre adhésion à la réalité, la vraie, ne souffre pas de délai; elle devrait être intransigeante. Il ne suffit pas de cultiver la nostalgie des choses passées pour préparer une restauration, une renaissance. Il faut être aussi fins et rusés que les serviteurs de ce monde et utiliser leurs moyens et leurs instruments mais pour la gloire de Dieu et le salut de notre pays.

 

                                               P.Jean-François Thomas s.j.

                                               SS.Cyrille et Méthode

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