Chretienté/christianophobie

Dans la Nuit avec les Rois

Dans la nuit, est né notre Sauveur. Dans la nuit, les bergers sont venus L’adorer. Dans la nuit, les rois L’ont approché pour Lui rendre hommage. Une étoile, choisie parmi la myriade des astres de la création, a guidé ces premiers disciples aveugles. Elle s’est mise en mouvement au sein de la nuit la plus noire. Il a fallu ce signe du ciel pour que les Mages, intrigués, entreprennent leur périple. Chaque existence humaine ne manque ni d’étoiles, ni d’épiphanies pour la conduire au-delà de l’obscurité. La nuit est pour nous une compagne familière et nul ne peut y échapper. Reste à y déceler la présence divine, sans se décourager, et avec ténacité. Nous associons souvent les ténèbres à la douleur, à la solitude, à la déréliction alors qu’elles peuvent être toutes monastiques comme le lieu du recueillement et de la contemplation, à l’image de Notre Seigneur qui rencontrait ainsi son Père, à l’écart, après avoir été harcelé par les foules et la misère des hommes durant ses journées de prédication et de guérisons.

Paul Claudel souligne, dans Corona Benignitatis Anni Dei, « Chant de l’Epiphanie », que « la Nuit est la patrie d’un catholique » car la route y est balisée par les constellations. C’est le brouillard qui rend aveugle, celui qui nous emprisonne en ce monde où nous pataugeons souvent maladroitement, c’est lui qui asphyxie. La nuit chrétienne est au contraire un refuge. Le même poète insiste dans Présence et Prophétie en déclarant : « Alors nous connaîtrons avec Lui des ténèbres si grandes que l’Ecriture, pour nous les faire entendre, ne trouve d’autre comparaison que la lumière de Midi. » Il n’est donc pas terrifiant de nous sentir dans la nuit, y compris si nous sommes saisis par une sorte d’inquiétude en nous demandant comment nous pourrons trouver notre chemin. Les Mages ont dû connaître parfois une telle angoisse, mais ils ont fait confiance en gardant le regard rivé sur la boussole scintillante qui déchirait pour eux la pesanteur des ténèbres environnantes.

N’éprouvons-nous pas une lancinante lassitude lorsque nous devons poursuivre notre pèlerinage terrestre, essentiellement environnés de nuit ? Nous nous demandons à certains moments si nous arriverons à maintenir le cap alors que le chaos semble s’installer tout autour de nous, que le phare de l’Eglise lui-même vacille et que sa lumière se fait plus ténue ? Un mot de Dieu suffit à refaire nos forces. Ce mot est la flamme vacillante qui tremblote devant nos yeux. Il devient un astre flamboyant dans notre ciel. Il suffit de ces moments de grâce pour que nous repartions d’un pas ferme, aussi impatients que les Rois à la recherche de l’Enfant. Sans ces étoiles qui sont semées par Dieu dans notre nuit, tout demeurerait illisible à nos yeux et à notre intelligence. Voilà pourquoi tant d’hommes sont incapables de voir ce qui est, car ils s’enferment dans leurs ténèbres au lieu de lever la tête et de se laisser guider et consoler par l’Etoile. Ce n’est pas nous qui tâtonnons dans la nuit, c’est la nuit qui marche doucement vers nous, pour reprendre l’expression baudelairienne de Recueillement. Cette nuit n’est pas vide pour un chrétien. Elle est habitée et elle ne provoque point la frayeur.

Alors bien sûr, nous pouvons nous sentir cernés par ce monde désordonné dans lequel nous sommes plongés. Les occasions de crainte ou de désespoir ne manquent pas. Nous aimerions être mieux documentés sur la signification de ce qui advient. Cela n’est pas toujours possible, les clefs nous manquent. Il faut alors renouveler un acte de confiance, du milieu des ténèbres, en sachant que les repères sont bien à leur place, même si nous les évitons, si nous passons à côté sans les remarquer. Notre nuit de croyant n’est pas celle décrite par le romantisme, une nuit peuplée d’êtres étranges et inquiétants, semblables à ceux qui hantent le Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand. Notre nuit, y compris celle de la souffrance la plus acérée, celle du péché le plus âcre, n’est pas le règne des cauchemars comme ceux représentés dans le tableau de Füssli. La nuit obscure n’est que passagère. Elle ne peut effacer le scintillement des constellations divines.

A chaque année qui commence, – année qui, nous en sommes bien convaincus, est donnée par le Seigneur -, nous nous arrêtons sur le seuil, cherchant à percer les ténèbres, ne sachant pas ce que l’avenir nous réserve, et plutôt tentés d’imaginer le pire car l’histoire humaine n’apporte jamais de leçons, et les péchés des hommes ne s’allègent pas au cours des siècles. Nous aurions tort de nous laisser suffoquer par les pestilences, certes bien présentes, de notre monde hagard. Rien ne peut nous étouffer si nous renouvelons notre abandon et si nous nous jetons au cœur de cette nuit en l’appréhendant, non plus comme une ennemie mais comme notre patrie catholique puisque nous savons que, quelque part, brille cet astre qui ne cesse de nous montrer la route. Toutes les ruses du monde ne seront jamais capables d’éteindre cette constellation. Notre tiédeur elle-même ne pourra pas la mettre sous le boisseau. Les mots de saint Jean de la Croix dans La Nuit obscure deviendront nôtres au sortir de l’aveuglement :

« O nuit qui m’a guidée !

O nuit plus aimable que l’aurore !

O nuit qui as uni !

L’Aimé avec son aimée,

L’aimée en son Aimé transformée. »

N’ayons pas peur des ténèbres du monde car Dieu nous envoie sa Nuit qui est toute illuminée.

 

                                               P.Jean-François Thomas s.j.

                                               Epiphanie 

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